PÉGASE
Certes Paris est le cheval Pégase
Si Pégase est une vache enragée
Pour s’envoler avec lui vers l’extase
Comme une gaze, il faut être léger
J’y arrivai pourtant comme tant d’autres
Persuadé que l’oiseau du génie
Creusant de son bec mon crâne d’apôtre
Dans ma cervelle avait logé son nid
Gare de Lyon avec ma valise
Je croyais débarquer au paradis
Ce paradis était une banquise
Hélas c’était ce que l’on m’avait dit
Dans ma valise j’avais des poèmes
Un tricot de laine, une brosse à dents
J’avais trois litres de sang dans mes veines
Et je croyais que c’était suffisant
Pour qu’aussitôt toutes les portes s’ouvrent
Et que Paris s’agenouille à mes pieds
Avec le trousseau de clés de ses Louvres
Comme on le voit, j’étais fou à lier
Une semaine après ce doux délire
Je traînais la savate dans les rues
Si j’avais pu, j’aurais bouffé ma lyre
Toute ambition et toute honte bues
Enfin un jour que de dame famine
J’allais être le macabre mari
Je consentis pour un peu de cuisine
Du beau Pégase à laver l’écurie
Sûr qu’il me fera mourir à la peine
Sans que jamais il m’accorde un galop
Autant vraiment demander aux sirènes
De la Seine qu’elles sortent de l’eau
Peut-être aussi que lorsque viendra l’âge
Où la mort n’est plus très loin de la vie
De ce coursier j’obtiendrai l’attelage
Mais en aurai-je encore l’envie ?
Mon corps vidé par la longue misère
Je doute même qu’en sorte une fleur
Assez vivace pour trouer la terre
Et me fleurir ainsi qu’un visiteur
Dis-moi Paris, tes vastes cimetières
Pour le poète mort à l’hôpital
Recèlent-ils sous leurs croix, sous leurs pierres
La voie lactée où s’envole un cheval ?